Guilhem CONSTANS est docteur en archéologie, chercheur associé à l’UMR 5608 du CNRS, responsable d’opération à la société d’archéologie préventive Éveha.
Pour la 4ème année consécutive il dirige les fouilles à la grotte des Jonquilles.
Cette opération bénéficie avant tout du soutien financier du Ministère de la Culture, de la région Occitanie, du département du Lot, de l’association Archéologies, de la société Éveha, et du soutien logistique de l’UMR 5608.
L’entrée de la grotte avant le début des fouilles. Elle est déjà agrandie par les désobstructions entreprises par les spéléologues. On note le colmatage naturel par deux éboulis de pente formés à gauche et à droite de l’entrée. Au premier plan, l’accumulation de cailloux résulte de la désobstruction spéléologique.
Dans la grotte : les coupes de fouille en palier à date du 26 juin 2024.
Selon G. Constans : » L’intérêt majeur du site est la présence d’un niveau dense, parfois inter-stratifié, correspondant 2nd Mésolithique, susjacent à un niveau du 1er Mésolithique. Quelques indices du Paléolithique supérieur et du Néolithique final ont également été découverts. Certains indices lithiques renvoient au Néolithique ancien ou à une occupation de l’extrême fin du 2nd Mésolithique (le matériel marqueur, des armatures, est ubiquiste). À ce jour, l’hypothèse du 2nd Mésolithique final est privilégiée vu l’absence de marqueurs typiques du Néolithique ancien autres que l’industrie lithique. La poursuite des études confirmera ou infirmera cette première vision.«
La problématique principale, telle que définie par G. Constans, concerne le Mésolithique quercynois. Comment s’articulent la grotte des Jonquilles et le Cuzoul de Gramat, situé 13 km au nord, site de référence non seulement pour le Quercy, mais aussi pour tout le Mésolithique du Sud-Ouest ?
Il s’agit de développer la connaissance des modes d’occupation territoriale au Mésolithique, en tentant de caractériser la fonction spécifique des sites connus : la grotte des Jonquilles, mais aussi quelques autres sites parfois mal documentés.
G. Constans : « Au contraire du Cuzoul de Gramat, l’occupation de la grotte des Jonquilles ne paraît pas dense et régulière. Au stade actuel des études, elle ne paraît pas renvoyer à une occupation permanente au cours de l’année. La stratigraphie mise en évidence pour le 2nd Mésolithique indique une occupation dans le temps long : environ un millénaire de fréquentation. Le statut des occupations reste à déterminer. Mais il est possible que le site soit une halte régulière parmi d’autres sur un parcours dont l’étendue, sans doute assez resserrée, reste à préciser.«
Attention sur ce point à l’utilisation souvent abusive du terme de « halte de chasse » qui a trop souvent été attribué par défaut à tout site qui ne semblait pas relever d’un habitat.
Une autre problématique très intéressante avancée par G. Constans concerne les activités autour du feu : tenter de résoudre le mystère des couches cendreuses mésolithiques et de la chauffe ou combustion de nombreux artefacts lithiques et osseux. Elles sont une des caractéristiques principales de ce que l’on perçoit actuellement du site.
G. Constans : « Simple rejet de foyer ou production volontaire d’une grande quantité de cendres ? Ces dernières peuvent avoir diverses fonctions, par exemple le tannage de peau. Cette question, qui concerne beaucoup d’occupations du Mésolithique, reste à élucider. Aux Jonquilles, l’importante épaisseur des couches cendreuses et leur apparente déconnexion des autres niveaux limoneux peu cendreux et très pierreux n’est toujours pas expliquée.«
Du fait de sa spécialité, l’outil principal qu’utilise G. Constans pour caractériser les sites et les comparer entre eux est l’industrie en silex, c’est à dire : des outils ou des armes (en l’occurrence les armatures utilisées pour la confection des flèches ) et des résidus de taille ou parfois d’utilisation.
G. Constans s’inscrit ainsi dans une lignée de chercheurs qui, dans l’archéologie pré-néolithique, s’est imposée depuis 40 ans.
Imposée avec raison : l’archéologie préhistorique s’est construite sur l’identification de la pierre taillée. La qualité de la conservation du silex a permis l’identification de chronologies typologiques et technologiques.
Imposée peut-être parfois un peu trop. On a pu voir, à la fin des années 1990, des autorisations de fouille dûment accordées sur la seule base de problématiques de lithiciens, et d’autres récusées car l’étude des matières siliceuses y était trop annexe.
Les autres domaines de recherche étaient cantonnés à des espaces périphériques, peut-être parce qu’ils étaient moins directement porteurs de savoirs, et moins rigoureux dans leurs méthodes d’approche. Cette époque semble révolue. Aujourd’hui, des archéozoologues dirigent des chantiers ; des géoarchéologues commencent à en diriger.
Mais attention : quelles en sont les raisons ? Les préhistoriens généralistes sont-ils en voie de disparition ? Est-ce une bonne chose ? Quelle est la place de l’archéologie de laboratoire ? Et en filigrane cette question complexe : quand et comment l’accumulation documentaire et le traitement de données devient-ils de la recherche ?
L’équipe de fouille présente sur site est plafonnée à 7 bénévoles, surtout des étudiants en archéologie. La configuration des lieux ne permet pas d’en accueillir plus.
G. Constans : « Cette équipe de terrain récolte les informations qui sont ensuite analysées par une équipe scientifique comprenant des spécialistes de la faune, de la microfaune, de l’industrie osseuse, des restes végétaux carbonisés, de l’industrie lithique, ainsi qu’un géo-archéologue.
Ce dernier, M. Lejay, était présent sur le terrain dès 2021. Il intervient régulièrement ou à la demande, pour par exemple identifier des niveaux de ruissellements ou des sols de piétinement, et effectuer des prélèvements (colonne micromorphologique) afin de comprendre et renseigner l’accumulation des dépôts.
Nous disposons même d’un spécialiste de la céramique Néolithique dans le cas ou nous en trouvions. «
La fouille se fait par décapage d’unités archéo-stratigraphiques qui sont identifiées au fur et à mesure de la fouille sur la base des colorations, des contenus, et des textures des sédiments.
Sauf découverte exceptionnelle, il n’est pas réalisé de modèle numérique de chaque surface décapée.
Le travail de relevé par photogrammétrie n’a pas été retenu car considéré comme beaucoup trop chronophage par rapport à la plus-value qu’il serait théoriquement susceptible d’apporter.
Toutefois, à la fin de chaque campagne annuelle, un modèle photogrammétrique est réalisé pour visualiser en 3D l’avancée des opérations.
Une vue du « laboratoire de chantier » où sont réalisés les premiers tris, nettoyages, inventaires, classements, des objets prélevés.
Prise de mesures avec la « station totale » qui permet de coter en 3 dimensions l’emplacement des objets situés à la base de la petite « pique » surmontée d’un prisme tenue par la personne dans la grotte.
Tous les sédiments contenant les vestiges prélevés sur site sont récupérés. Ils sont ensuite traités par flottation (plongés dans l’eau) pour récupérer les restes végétaux carbonisés (maille minimale de 0,5 mm). Puis ils sont tamisés à l’eau avec une maille minimale de 1,6 mm. Les refus de tamis sont ensuite sèches à l’ombre puis triés.
En train de manger … pas du tout. Dans les assiettes : micro-esquilles d’os et petits éclats de silex à caractériser et classer. Dans le plat : de petits sachets en plastique et de petites bourses en tissus contenant le matériel à étudier.
La zone de traitement des sédiments.
Elle est situé sur le plateau au-dessus de la doline, à moins de 50 m de la grotte.
C’est l’endroit le plus proche de la grotte où le propriétaire peut approvisionner en eau la citerne indispensable aux opérations.
Les poubelles noires servent de récipients remplis de l’eau destinée à permettre, par flottaison, l’extraction des charbons de bois et des graines, ainsi que le tamisage.
À partir de 2025 les travaux prendront probablement 2 orientations.
La première consisterait à approfondir la connaissance des niveaux sous-jacents attribués au 1er Mésolithique.
L’autre consisterait à tenter d’étudier les activités du 2nd Mésolithique à l’extérieur de la grotte. Peut-être à son avant immédiat, lieu probable d’un effondrement de voûte qui a recouvert les niveaux d’occupation. Ou peut-être plus en extérieur, au cœur de la doline, là où ont pu avoir lieu des activités de plein air.
L’association « Préhistoire du Sud-Ouest » est entièrement indépendante de la Mairie de Cabrerets. Nous remercions la commune, ses élus, et la direction du centre du Pech-Merle de leur soutien sans faille.